La cession d’un usufruit portant sur des titres de société emporte des conséquences fiscales à la fois pour le cédant et pour le cessionnaire.

Pour le cédant, la plus-value acquise sur les titres sociaux est taxée suivant un régime qui varie suivant la qualité du cédant, personne physique ou morale, professionnel ou non, et la durée de l’usufruit ainsi constitué, viager ou temporaire.

Du côté du cessionnaire, les cessions d’usufruit étaient soumises au régime applicable à la cession des titres concernés : les droits d’enregistrement étaient taxés au taux de 0,1 % pour les actions, 3 % pour les autres sociétés, exceptées les sociétés à prépondérance immobilière taxées au taux de 5 %. Depuis fin 2022, les cessions d’usufruit de titres de sociétés sont dorénavant soumises à un droit fixe de 125 euros.

 

  1. Seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé

La Cour de cassation a confirmé, encore récemment (Cass. com., 1er décembre 2021, n°20-15164 ; Cass. civ., 3ème ch., 16 février 2022, n°20-15164), qu’en cas de démembrement de titres sociaux, l’usufruitier ne dispose pas de la qualité d’associé. Aux yeux du juge, seul le nu-propriétaire peut prétendre à cette qualité d’associé. Dans les différentes stratégies de gestion et de transmission de patrimoine, notamment immobilier, il est primordial de tenir compte de cette jurisprudence constante.

Dans la mesure où l’usufruitier ne se voit pas reconnaître la qualité d’associé, le juge a poursuivi son raisonnement jusqu’au bout, en indiquant que la cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, ne devait pas être soumise aux droits d’enregistrement proportionnel applicables aux cessions de droits sociaux, mais au simple droit fixe de 125 euros des actes innommés prévu à l’article 680 du CGI (Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-18884 ; Cass. com., 4 janvier 2023, n°20-10112).

Dans une mise à jour récente (BOFiP-ENR-DMTOM-40-10-20 §140, 24 avril 2024), l’administration fiscale a intégré cette jurisprudence importante.

 

Ce sont donc toutes les cessions d’usufruit de titres sociaux qui profiteront de cette fiscalité allégée. Qu’il s’agisse, par exemples, de cessions d’usufruit de titres de SCI (société civile immobilière) au profit d’une société d’exploitation, dans les schémas de structuration ou de restructuration d’immobilier d’entreprise, ou des échanges d’usufruits croisés de parts de SCI entre concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

Une question demeure toutefois en suspens. Si une SCI a été créée par l’apport d’un bien immobilier, le droit fixe des actes innomés reste-t-il applicable ?

 

2. La cession d’usufruit de droits sociaux consécutive à un apport en nature

En principe, les cessions de parts sociales sont considérées, au point de vue fiscal, comme ayant pour objet les biens en nature représentés par les titres cédés (CGI, art. 727), lorsqu’elles interviennent dans un délai de trois ans à compter de l’apport fait à la société.

Ainsi par exemple, si un bien immobilier est apporté à une SCI, et que les titres sont cédés dans les trois ans de cet apport, les droits d’enregistrement ne sont plus taxés au taux de 5 %, mais ils seront taxés au taux de 5,80 % applicable à la vente de biens immobiliers.

Il se pose alors la question de savoir si la cession d’usufruit de parts de société réalisée dans les trois ans d’un apport en nature à la société, demeure soumise au droit fixe de 125 euros.

Le juge n’a pas encore eu à statuer sur cette question.

En matière de cession de nue-propriété de droits sociaux dans les trois ans d’un apport immobilier, la jurisprudence s’est en revanche déjà positionnée en accordant sa faveur au maintien du régime de l’article 727 du CGI (Cass. com., 9 octobre 1990, n° 89-13996). Dans un réflexe pavlovien, nous pourrions être tenté de transposer cette décision à la cession d’usufruit de droits sociaux. Cela serait néanmoins omettre que selon le juge, seul le nu-propriétaire détient la qualité d’associé, à l’exclusion de l’usufruitier. Et c’est cette absence de qualité d’associé qui justifie l’application du droit fixe des actes innommés. Or ce n’est parce que la cession d’usufruit est réalisée dans les trois années d’un apport en nature, que le cessionnaire acquiert pour autant la qualité d’associé. Ainsi, sous réserve de l’abus de droit fiscal, la cession d’usufruit de droits sociaux dans les trois ans d’un apport en nature, devrait selon nous, demeurer soumise au droit fixe de 125 euros.

Par mesure de prudence toutefois, et en attendant une confirmation jurisprudentielle souhaitée, il est préférable de solliciter un rescrit fiscal, ou de payer les droits d’enregistrement proportionnel et ensuite procéder à une réclamation contentieuse en demandant le dégrèvement des droits payés.

Publié sur