En pleine polémique autour de la succession de Johnny Hallyday, c’est l’occasion de faire le point sur plusieurs questions fondamentales. Que dit la loi française en matière d’héritage ? Peut-on déshériter un enfant en France ? Philippe Van Steenlandt, docteur en droit et directeur du service patrimonial de l’Étude notariale Alpha Notaires, y répond.
(LaVieImmo.com) – La loi française protège-t-elle bien les enfants en matière d’héritage, comparé à d’autres pays ?
Philippe Van Steenlandt : Il existe en droit français ce qu’on appelle la réserve héréditaire, qui profite aux descendants ou, en l’absence de descendant, au conjoint survivant. Cette réserve héréditaire offre un droit intangible à obtenir une part du patrimoine du défunt : l’héritier réservataire ne peut, en principe, être complètement exclu de la succession. Bien que son influence ait sensiblement baissé au fil des années, la réserve héréditaire continue d’innerver tout notre droit patrimonial de la famille.
La réserve héréditaire relève traditionnellement des pays de droit latin, alors qu’elle est ignorée des pays issus de la Common law anglo-saxonne. Ainsi des pays tels que la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, mais aussi le Luxembourg ou la Suisse, connaissent tous le mécanisme de la réserve héréditaire, laquelle confère des droits sinon identiques, du moins équivalents à ceux reconnus par le droit français.
En revanche, les États tels que l’Angleterre, l’Irlande, l’Écosse, la Californie ou encore l’Israël laissent toute liberté au défunt pour désigner les héritiers de son choix. Il peut dès lors être tentant de « placer sa succession dans le giron » de ces États…
Peut-on déshériter un enfant en France ?
Philippe Van Steenlandt : Dans les familles recomposées, la volonté de déshériter les enfants est souvent dictée par le souhait d’avantager le nouveau conjoint. Peut-on aller jusqu’à priver totalement un enfant de sa succession en léguant par exemple tout son patrimoine à son conjoint ? Oui, il est possible de déshériter un enfant. Mais à condition d’avoir son accord ! Accord qui porterait sur l’absence de recours contre le bénéficiaire d’une libéralité – c’est-à-dire une donation ou un testament. Par exemple, le nouveau conjoint qui bénéficierait d’un testament lui transmettant l’intégralité du patrimoine, pourrait être à l’abri de toute contestation des enfants du testateur avec leur assentiment. Dans ce cas, la renonciation est définitive. C’est ce que l’on appelle la renonciation anticipée à agir en réduction (RAAR).
L’aménagement du régime matrimonial permet également d’avantager le nouveau conjoint. Les enfants du défunt peuvent à cette occasion accepter de ne pas contester l’avantage consenti à leur beau-parent : cette renonciation à agir est alors provisoire, et dure jusqu’au décès du nouveau conjoint. On parle cette fois de renonciation anticipée à agir en retranchement.
Ces renonciations demeurent néanmoins rares en pratique. Et pour cause, il est difficile d’imaginer un enfant accepter de renoncer définitivement à tout droit dans la succession de son parent. Pourrait-il accepter de n’y renoncer que temporairement, jusqu’au décès du conjoint survivant ? Lorsque l’on sait que l’âge du nouveau conjoint n’est souvent pas très éloigné de l’âge de l’enfant, renoncer provisoirement à l’héritage de son parent revient pratiquement à y renoncer définitivement.
La RAAR est toutefois parfois acceptée lorsqu’il s’agit d’avantager un frère ou une sœur atteint d’un handicap : la vulnérabilité d’un enfant favorise la concession des autres.
Peut-on déshériter un enfant sans son accord ?
Philippe Van Steenlandt : De nombreux outils patrimoniaux, lorsqu’ils sont employés en ce sens, permettent d’orienter la transmission de son patrimoine, en limitant, voire en supprimant les effets de la réserve héréditaire. L’aménagement du régime matrimonial, la souscription de contrats d’assurance-vie, le recours aux sociétés, l’utilisation du démembrement de propriété, l’emploi de la tontine… constituent autant d’instruments juridiques à la disposition des parents qui souhaiteraient avantager une personne au détriment des héritiers réservataires.
Et qu’en est-il en droit international ?
Philippe Van Steenlandt : Le changement des règles applicables aux successions internationales depuis le 17 août 2015 peut être l’occasion d’anticiper le sort de sa succession. Deux moyens sont offerts pour y parvenir. Le premier consiste à déménager et installer son domicile dans un Etat ignorant la réserve héréditaire. L’ensemble de la succession est en effet soumis à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt, donc à celle du nouvel Etat de résidence choisi. Et voici comment la réserve héréditaire peut disparaître !
Et si le déplacement à l’étranger s’avère trop contraignant, il reste un second moyen : désigner directement la loi applicable à sa succession, qui ne peut être néanmoins que la loi dont le défunt à la nationalité. Par exemple, un ressortissant anglais résidant habituellement en France peut soumettre sa succession au droit anglais, et ainsi s’épargner la rigueur de la réserve française.
Un enfant peut-il contester le fait qu’il a eu moins que son frère/sa sœur ?
Philippe Van Steenlandt : Tant que la part minimale conférée par la réserve héréditaire n’est pas atteinte par l’avantage consenti à un frère ou une sœur, aucune contestation n’est en principe recevable. Il en va autrement si la réserve est amputée. La réserve héréditaire reste profondément ancrée à notre patrimoine juridique. Il n’est donc pas surprenant que le législateur et le juge offrent aux héritiers réservataires tout un arsenal de moyens de défense. Ceux-ci dépendent des instruments employés pour évincer les enfants de sa succession.
Dans le domaine de l’assurance-vie par exemple, un héritier réservataire pourra arguer du caractère manifestement excessif des primes versées (au regard de l’âge, de la situation familiale et patrimoniale du souscripteur) ou de l’absence d’aléa (parce que le souscripteur-assuré était mourant par exemple) pour réintégrer tout ou partie du capital assuré dans la succession. En matière de tontine, les héritiers réservataires pourraient tenter d’obtenir la requalification de l’opération en donation déguisée, si la contribution du défunt dépasse nettement celle de l’autre tontinier, si le défunt était nettement plus âgé que l’autre, ou encore si le défunt était dans un état de santé grave.
En matière de succession internationale, les héritiers ne sont pas non plus dépourvus de solutions pour tenter de faire valoir leur droit. Ils peuvent s’appuyer sur ce que l’on appelle « l’ordre public international français », qui constitue un socle de règles auxquelles notre droit serait fondamentalement attaché. Et précisément, il était traditionnellement enseigné que la réserve héréditaire constituait l’une de ces règles. Mais récemment, le 27 septembre 2017, la Cour de cassation vient d’indiquer tout le contraire : une loi étrangère, en l’occurrence la loi californienne, qui ignore la réserve héréditaire ne contrarie pas en soi l’ordre public international français. Il n’en irait autrement que si par exemple, les héritiers réservataires lésés sont dans une situation de précarité économique ou de besoin. On songe par exemple à des enfants en bas âge et sans moyen.
L’ordre public international français ne pouvant servir de fondement, les héritiers réservataires pourraient en amont tenter de démontrer que la dernière résidence habituelle du défunt n’est pas celle qui a été fixée à la hâte quelques années avant le décès : le juge appréciera l’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence.
Enfin, une autre solution repose sur la fraude à la loi. Cette fois, il s’agit par exemple de démontrer que le défunt a désigné sa loi nationale, alors qu’il n’a aucun lien avec le pays concerné, dans l’unique but d’écarter ses enfants de sa succession. La fraude n’est reconnue que si les agissements ont manifestement été animés par la volonté d’évincer les héritiers réservataires : par exemple, désignation d’une loi peu de temps avant le décès, accompagnée de courriers et de testaments matérialisant l’intention du défunt de déshériter ses enfants. Si la fraude est grossière, la personne avantagée gagnera à transiger avec les enfants lésés, lesquels auront tout intérêt à agir pour tenter de récupérer une partie de la succession, fût-ce au terme d’une longue procédure. Car la jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer en matière de fraude à la loi en droit des successions internationales, en se prononçant en faveur des enfants lésés.
Conclusion : avant de s’engager dans une opération ayant pour but de favoriser une personne au détriment d’un enfant, il est nécessaire d’en vérifier les conditions de validité auprès d’un professionnel.