Avec la croissance de son entreprise ou lorsqu’une opportunité se présente, le dirigeant d’entreprise peut décider de se porter acquéreur des murs professionnels. Il se posera alors la question de la structuration de son acquisition. Une option s’offre à lui : il peut directement acquérir les murs professionnels, lesquels intégreront son patrimoine privé ; ou préférer les faire acheter par sa société d’exploitation, les murs seront alors inscrits au bilan de l’entreprise.

Une troisième voie consiste à faire acquérir à la fois le patrimoine privé et le patrimoine professionnel, en pratiquant un démembrement de propriété.

Par expérience, nous constatons que le choix est généralement guidé par des considérations d’ordre fiscal. Le chef d’entreprise ne doit néanmoins pas négliger les aspects juridique et économique de l’opération.

 

1. Acquérir les murs dans le patrimoine privé

Généralement, le chef d’entreprise constitue une société civile immobilière (SCI) qui se porte acquéreur de l’immobilier d’entreprise. La SCI donne ensuite les murs à bail à la société d’exploitation.

De cette manière, les murs professionnels sont protégés des risques entrepreneuriaux et de l’aléa financier lié à l’exploitation.

Si le dirigeant d’entreprise se projette un peu plus loin, il constatera que séparer l’immobilier de l’entreprise permet de faciliter l’anticipation de sa succession : il pourra par exemple donner l’entreprise à ses héritiers repreneurs, et les parts de la SCI aux autres héritiers. En cas de vente de l’entreprise, le fait de ne pas intégrer les murs dans le patrimoine professionnel a pour effet de ne pas augmenter la valeur de l’entreprise, facilitant ainsi le rachat par un tiers n’ayant pas suffisamment de ressources ou n’ayant tout simplement pas pour projet de se porter acquéreur des murs en même temps que l’entreprise.

Fiscalement, si la SCI n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), les loyers perçus de l’entreprise s’ajoutent aux autres revenus du dirigeant pour être taxés suivant le taux prévu au barème de l’impôt sur le revenu qui monte jusqu’à 45 %. Très peu de charges sont déductibles. En outre, dans la mesure où les loyers sont employés à rembourser l’emprunt lié à l’acquisition, l’effort de trésorerie nécessaire au paiement de l’impôt constitue souvent un obstacle dirimant. Néanmoins, une SCI qui n’est pas à l’IS présente l’insigne intérêt de ne pas avoir d’impôt à régler à l’occasion de la revente des murs au bout de 30 ans. Le régime des plus-values des particuliers prévoit en effet une exonération d’impôt de plus-value au bout de 22 ans de détention, et de prélèvements sociaux au bout de 30 ans.

Dans l’immense majorité des cas, la SCI opte pour l’IS. La fiscalité de la détention s’en trouve sensiblement allégée, voire annihilée par l’importance des charges déductibles, en particulier l’amortissement du bien. Aucun effort de trésorerie n’est nécessaire. Les inconvénients se reportent néanmoins à la revente du bien : le régime des plus-values professionnelles s’applique, et si le bien est totalement amorti, l’assiette de l’impôt est constituée par l’intégralité du prix de vente !

 

2. Acquérir les murs dans le patrimoine professionnel

Naturellement, intégrer l’immobilier d’exploitation dans l’entreprise accroît la capacité d’emprunt de cette dernière. L’entreprise bénéficie en outre de pouvoirs étendus sur le bien, davantage que si elle est dans une position de locataire.

En cas de transmission à titre gratuit de l’entreprise, les murs pourraient, toutes conditions étant par ailleurs remplies, bénéficier du dispositif « Dutreil » autorisant une exonération de droit de donation ou de succession à hauteur de 75 %.

La fiscalité de la société d’exploitation est commerciale, de sorte que les avantages sont identiques à ceux d’une SCI à l’IS : les amortissements neutralisent en tout ou partie le paiement d’un impôt. Mais nous retrouvons les mêmes écueils à la revente du bien : l’assiette de l’impôt est constituée non seulement de la plus-value acquise par le bien, mais encore de l’ensemble des amortissements qui ont été pratiqués…

Il existe alors une solution médiane, qui permet de cumuler les avantages fiscaux de l’impôt sur le revenu et de l’IS.

 

3. Acquérir les murs à la fois dans le patrimoine privé et dans le patrimoine professionnel

Ce schéma d’acquisition consiste à faire acquérir la nue-propriété des murs d’exploitation par le patrimoine privé, et un usufruit temporaire par le patrimoine professionnel. Cette solution conjugue les intérêts de la fiscalité commerciale durant la détention du bien, avec le régime des plus-values des particuliers à la revente du bien.

Concrètement, à la faveur d’un démembrement de propriété des murs, la société d’exploitation achètera un usufruit pour une durée maximale de 30 ans. Cet usufruit sera inscrit à l’actif du bilan de l’entreprise et sera amorti de façon linéaire pour sa durée. Aucun loyer versé par la société d’exploitation ; aucun revenu foncier imposable chez le dirigeant. Et l’amortissement de cet usufruit viendra utilement réduire le résultat imposable de l’entreprise.

Au terme de sa durée, l’usufruit s’éteint et le dirigeant devient plein propriétaire des murs en toute franchise d’impôt : l’entreprise aura financé un bien au profit du patrimoine privé du dirigeant sans fiscalité relatives aux dividendes ou à la plus-value professionnelle. Le dirigeant donnera alors les murs en location à son entreprise. Mais il pourra préférer vendre les murs. Et là, grâce au régime des plus-values des particuliers applicable, aucun impôt ne sera dû dès lors que la vente intervient au bout de 30 ans à compter de l’acquisition de la nue-propriété.

 

Une telle structuration de l’immobilier d’entreprise présente à l’évidence un intérêt majeur. Le dirigeant doit toutefois détenir un apport suffisant pour financer l’acquisition de la nue-propriété, car les banques sont peu enclines à prêter leur concours à ce type de projet.

En outre et surtout, il est primordial de sécuriser les opérations, et de ne pas s’y aventurer sans être accompagné d’un professionnel rompu à cet exercice. Car le fisc veille et ne manquera pas de saisir la moindre faille pour remettre en cause l’ensemble de l’édifice.

Enfin, dans certains cas, ce schéma d’acquisition n’est pas envisageable, sous peine de sensiblement alourdir la fiscalité applicable au vendeur. Des alternatives existent, permettant d’obtenir des résultats analogues. Elles supposent toutefois une expertise pointue et doivent être envisagées avec une prudence extrême.

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